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Un texte, il est là, il vient, se construit, idée après idée.

L'escarpin rouge

L'escarpin rouge

Inspirée par mon texte "Les pas", je me suis laissé emporter plus loin dans l'histoire de ce personnage.

Je suis réveillé, ma chambre est dans la pénombre. Je m’enfouis le visage dans l’oreiller. J’ai mal, mon cœur n’est que sombre douleur. Seule la tiédeur de mes cheveux me rappelle que je suis là, bien vivant, mais exsangue de sentiments dans l’abîme de mon lit. Elle est partie. Elle a dit non à la vie que je voulais lui offrir. Une vie, comme on offre un bouquet de roses, pleine de couleurs et d’amour. Je ne suis plus qu’un pantin désarticulé. Seuls les souvenirs me rappellent que j’existe. Je garde les yeux grands ouverts, je la revois, je repense à ces derniers moments passés à ses côtés, où j’ai voulu qu’elle embrasse mes rêves.

Au détour d’une ruelle, même si je ne la vois pas encore, je perçois le rythme caquetant de son pas sur le trottoir gris et sale. Je sais qu’elle porte ses petits escarpins rouges à talon que j’affectionne tant. Je la reconnais entre mille, ses chaussures sont comme elle, elles s’empressent de me retrouver. Je sais la façon qu’elle a de se mouvoir, le balancement de ses hanches, comme si elle voulait se libérer de mes mains qui enserrent sa taille. Je devine son jupon, lui aussi épris de liberté, qui se froisse et balaye ses jambes dans un infini va-et-vient. Je la sais tête haute et sourire radieux. Elle accélère son pas, je la voudrais déjà dans mes bras.

La foule de passants anonymes et sans intérêt déambule, aspirée par un quotidien qui assourdit leurs pas. Mais qu’importe s’ils ne sont pas ou plus aujourd’hui les "espérés" d’une oreille amoureuse qui se délecte de les entendre. Quel bonheur indicible, de savoir que ce pas qui vole et qui chante sur le bitume est pour moi. Je suis redevenu, l’espace d’un instant, un enfant qui joue à cache-cache, presque absorbé par la lourde porte cochère de la rue des Moissons. Mon cœur s’emballe, elle est si près, je sens son parfum envoûtant qui se mêle à chacun de ses pas. Elle est si près.

Je tends les mains pour attraper sa taille, je la soulève et elle laisse tomber un de ses escarpins rouges. Je me penche pour le ramasser, il est là, seul, abandonné sur le trottoir. Ma main effleure la finesse de sa cheville, en replaçant la chaussure sur son pied délicat. Je sens la chaleur de sa peau. Elle rit. Son rire est si véritable, si simple. J’aimerais que ce moment devienne éternité. Éternité dans mon cœur, dans mon corps tout entier. Qu’aucun rivage de mes souvenirs ne puisse le détruire. Qu’il reste intact dans ma mémoire, qu’il se promène et ressurgisse, qu’il ondoie dans ma tête, qu’il s’embellisse et qu’il ait toujours ce goût sucré. Que mon passé ne l’inscrive qu’au présent, et que jamais il n’ait le goût de l’oubli.

Elle m’enlace de ses bras, ses doigts viennent au secours des larmes qui, une à une, forment un ruisselet inondant mon visage. Je ne peux contrôler cette joie larmoyante. Elle me console, se moquant de mes émotions. Nous sommes toujours dans la porte cochère Je l’implore de ne plus rire de mes sentiments !

Nous partons enlacés et je déverse un flot de paroles passionnées. Alors que nous avançons dans les rues plombées par la chaleur, je lui dévoile tous les projets que je veux partager avec elle. Nous aurons tant de plaisir à voyager ensemble ! Nous visiterons les capitales, je la nommerai ambassadrice de ma vie, représentante suprême du bonheur ! Et je lui assure que nous aurons des enfants, petits princes de notre histoire. On viendra les voir tant ils scintilleront de joie !

La sueur a remplacé mes larmes. Elle se penche vers moi et m’embrasse pour stopper la rivière des mots qui sortent de ma bouche, tous empreints d’une douce folie. J’ai tant d’espoir pour notre grande aventure. Je lui demande si elle réalise que nous serons les seuls à pouvoir vivre une vie où l’amour ne sera qu’une interminable chaîne, dont les maillons ne pourront s’assembler qu’à chaque fois que nous partagerons d’intenses émotions. Mon désir est si fort de vivre à ses côtés, que je peux même la deviner lorsqu'elle sera devenue si vieille, si fragile et forte, métissée de l’amour que, jour après jour, je lui aurais donné, et de celui qu’elle m’aura renvoyé.

J’attends qu’elle me dise que mes rêves aux goûts de miel sont aussi les siens.

Elle a dit non. J’ai donné une image à mes rêves par de simples mots, croyant qu’elle y consentirait volontiers. Aujourd’hui, ce chapitre de ma vie souffre de ces maux violents, que l’on ne voit pas mais qui vous taraudent sans cesse.

Le jour se lève, mes yeux maintenant s’accrochent aux fines particules de poussière qui dansent dans la chambre, éclairées par le soleil, qui tente insolemment de se faufiler par les persiennes. La douce chaleur de cet instant me donne encore à penser à toutes les heures que l’on aurait pu passer à parcourir la vie, dans les brassées de boutons d’or, nos pieds mouillés par des printemps parfois pluvieux, mais lumineux par la chaleur de nos deux corps. Les étés où les soirées sur le sable, encore imprégné de tiédeur, nous auraient permis de dessiner sous le clair de lune, ma main guidant la sienne, des arabesques aux longueurs éternelles. Nous unissant ainsi, avec pour seuls témoins sable et coquillages. Les hivers si longs où nous aurions été serrés, nos corps enlacés près du feu de cheminée Où le crépitement du bois aurait enflammé nos pensées interdites.

Existe-t-il une vie où il me serait autorisé de rêver à l’infini, toujours de plus en plus loin ? De ne trouver sur ma route, par ci par là, que des sentiers où je cueillerais à volonté les fruits murs et juteux du bonheur enfin trouvé ? Mais je sais que si je veux pouvoir rêver de nouveau, je vais devoir, comme jadis lorsque je frottais pour effacer le grand tableau noir de la classe, grimé de milles couleurs, laisser la fine poudre de craie emporter, au gré du vent, la douleur qui m’enserre le cœur. Elle viendra se déposer, lentement, sans bruit, aussi légère que la plume, sur le sol aujourd’hui aride de ma vie. Se dispersant pour me permettre de rêver à nouveau.

Folie d’aimer ou aimer à la folie ? Ce qui était hier ma part de rêve aurait dû le rester. Pour ne pas souffrir. Pour ne pas être aujourd’hui qu’un cœur en sursis. Il est si simple de s’accorder du bonheur dans ses rêves, d’être le messager de sa joie. Pourquoi vouloir les partager ?

Nos rêves sont à protéger, comme de précieux ornements, qu’il ne faut dévoiler que lorsque que l’on est sûr que d’autres les porteront fièrement à nos côtés. Nous aidant à leur donner une existence aussi réelle que le plaisir qu’ils peuvent nous procurer.

©lo

 

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